XIXe siècle
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Rodolphe Töpffer est nommé en octobre 1832 professeur de rhétorique à l’Académie de Genève. Il devient ainsi un notable dans la République, et côtoie désormais ses amis George Maurice, David Munier et Abraham Pascalis, qui l’ont précédé dans leurs chaires respectives. Ce troisième volume de la «Correspondance complète» contient les lettres pleines d’humour (et parfois de méchancetés sur quelques collègues) qu’il adresse à son cher ami David Munier, ainsi qu’à Auguste de La Rive, professeur de physique, avec lequel il se liera peu à peu d’une amitié profonde. Durant les années 1833 à 1838, Töpffer ne sera pas qu’un directeur de pensionnat et un professeur d’Académie. Il devient aussi un auteur, et les diverses Nouvelles qu’il publie (la plupart dans la «Bibliothèque universelle de Genève») lui assurent une renommée qui dépasse les frontières du canton. C’est ainsi que l’un de ses chefs-d’œuvre, La Bibliothèque de mon oncle, lui attire des lecteurs célèbres: Joseph de Maistre en France, Alexandre Vinet à Bâle, Heinrich Zschokke à Aarau lequel traduira en allemand les Genfer Novellen, attribuant par là un nom aux «Nouvelles genevoises». Töpffer publie aussi les trois premiers albums en estampes: «M. Jabot, M. Crépin, M. Vieux-Bois», rapidement contrefaits à Paris, ce qui le navre, et le rend très prudent dans la distribution des exemplaires des récits des «Voyages» qu’il entreprend une ou deux fois par an avec ses élèves. Cette vie très remplie se trouve explicitée par les lettres qu’édite Jacques Droin, lesquelles font également la part belle à sa femme et à ses trois enfants.
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Musset libertin ? Alors que le romantisme est à son apogée, «l’enfant du siècle» rêve de Louis XV et de Casanova. Sa nostalgie pour un monde révolu, imaginé d’après la littérature, a quelque chose d’anachronique et en même temps de révolutionnaire. L’élégance insolente et la sensualité du XVIIIe siècle rajeunissent sous sa plume, rehaussées par une touche de poésie toute personnelle. Son œuvre en retire une grande liberté de pensée et de langage, comme un léger parfum de scandale. Musset joue en virtuose des sous-entendus du discours libertin puisant dans un riche intertexte qui va de Marivaux à Louvet de Couvray, en passant par Crébillon fils et Laclos. Il en retient notamment l’art de jouer avec le lecteur, en vue d’établir avec lui un rapport tout à la fois de complicité et de défi. Pris dans les chassés-croisés de la séduction et du retrait, de l’aveu et du déni, ce discours postule l’ambivalence entre cynisme et sentimentalisme. Il suggère une secrète parenté entre double sens libertin et ironie romantique. Ainsi, de la reprise au dépassement du modèle hérité du siècle des Lumières, l’œuvre de Musset trouve la voie de son originalité et de son charme.
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Accréditant le propos de Barthes selon lequel «la modernité commence avec la recherche d’une littérature impossible», l’œuvre de Mallarmé se présente comme création ex nihilo: elle advient à partir d’un manque, d’un vide, d’un «rien» que le poète désigne comme «la pièce principale» du «mécanisme littéraire». L’origine de la voix poétique se profile en effet comme un néant sonore, un «creux néant musicien» où le vide devient un espace de résonance pour l’esthétique de la virtualité qui, des Poésies à l’élaboration du «Livre», s’y déploie subtilement. Aussi, cet essai interroge-t-il les orientations suivies par Mallarmé pour nourrir les questions aiguës que l’œuvre nous pose encore aujourd’hui: comment l’impossibilité peut-elle être fondatrice de la création littéraire? Ou plutôt: comment, aussi chargée qu’elle soit de réminiscences, l’écriture poétique peut-elle naître du fait même de son impossibilité, voire de la reconnaissance lucide de son impossibilité, si ce n’est de la déclaration et de la visée même de son impossibilité? Avec la traversée mallarméenne des paradoxes et des apories, Eric Benoit éclaire les points nodaux d’une esthétique qui réclame la participation du lecteur. La réflexion proposée prend d’abord corps dans le recueil des Poésies, puis aborde les poèmes en prose, la Dernière Mode, les feuillets du Tombeau d’Anatole, avant les projets du «Livre» rêvé lui-même comme à la fois nécessaire et impossible, horizon inaccessible d’une aventure littéraire dont l’enjeu aura pourtant été le salut de l’homme et du monde.
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Parce qu’elle offre un plaisir littéral, celui de la fable, et promet en même temps un sens dissimulé sous la séduisante enveloppe du récit, l’allégorie prend place au plus près des formes romanesques. De fait, elle ne doit pas être entendue seulement sur le plan stylistique, mais comme une figure qui structure en profondeur Les Rougon-Macquart et sollicite ainsi le lecteur. Eléonore Reverzy montre en effet comment Zola se bat avec l’idée ou plus exactement avec les formes qu’il choisit pour en concrétiser la mise en intrigue. La question de la clarté s’avérant particulièrement riche d’implications pour l’esthétique naturaliste, l’allégorie est interrogée ici comme facteur de lisibilité. Et là où le romancier déclare que ses personnages «racontent le second Empire, à l'aide de leurs drames individuels», La Chair de l'idée expose la manière dont la construction allégorique se déploie dans divers champs : l’histoire, dont l’écriture motive les grands déplacements analogiques, la philosophie ou l’éthique zolienne qui justifient le recours à de multiples procédés d’incarnation, enfin la représentation de la création artistique. Aussi, est-ce un roman « pensif » que cet essai fait le pari de lire dans Les Rougon-Macquart.
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Dès sa création, la Société générale devient la seconde banque française dite ''moderne'', aux côtés des maisons familiales de la Haute Banque ; elle se pose d'emblée en praticienne de la ''banque universelle'', à la fois banque de dépôts, banque de crédit des entreprises, banque d'affaires, courtier de valeurs boursières et conseil en gestion de patrimoine. Elle expérimente un ''modèle'' de banque adapté à la révolution industrielle.
Elle est aussi tout de suite engagée dans un monde de l'argent internationalisé. Active à Londres, elle participe aux affaires de la City. Elle accompagne des capitalistes investissant en Russie, dans l'empire ottoman, en Égypte, en Italie, etc. Elle noue un partenariat privilégié avec des hommes d'affaires actifs dans l'eldorado du Pérou.
La Société générale est pionnière en matière de création d'une ''organisation de firme'' bancaire. Elle doit constituer un vivier de cadres au Siège et dans les agences ; mettre au point des processus de contrôle de la gestion et des techniques d'appréciation des risques. Ce livre fourmille des portraits des grands dirigeants mais aussi de quelques dizaines de responsables des services et des agences.
Enfin, la banque doit s'enraciner sur la place parisienne, dans le monde politique notamment, alors que les régimes changent et que l'argent est au cœur des débats et des recompositions d'alliances entre groupes sociaux et politiques : elle devient elle aussi partie prenante du monde des affaires et de la vie de la Cité, d'où l'appréciation de sa ''position'' et de ses réseaux d'influence sur la place.
Dans la lignée de « l'école française d'histoire bancaire », Hubert Bonin mobilise les méthodes de l'histoire d'entreprise (business history) pour montrer comment, en un quart de siècle, une nouvelle grande entreprise est née et consolidée, dont l'histoire restait encore méconnue.
Hubert Bonin est professeur à l'Institut d'études politiques de Bordeaux depuis 1995 et responsable du Centre Montesquieu d'histoire économique - Université de Bordeaux 4. Il a publié une trentaine de livres dont une majorité consacrée aux banques.
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Pourquoi la cour du Second Empire, que l'on disait frivole, légère et cosmopolite, se serait-elle préoccupée d'orthographe ? Yannick Portebois dégage ici tout l'intérêt de la fameuse dictée dite «de Mérimée», dont l'aspect épineux a autant affaire au texte confectionné qu'aux circonstances présumées de l'exercice ludique sur lesquelles on a beaucoup brodé. Le contexte culturel et linguistique du dix-neuvième siècle incite à penser que, loin d'être seulement un jeu alambiqué, la dictée se présente comme une mise à l'épreuve «motivée» des formes et des règles de la langue : elle s'inscrit à ce titre dans un cadre plus général qui lui sert encore de caisse de résonance. Moins gratuite et incohérente qu'on pourrait le croire de prime abord, la rédaction serrée du texte apparaît effectivement comme le résultat d'une stratégie plutôt astucieuse, mettant en lumière les divergences orthographiques de quelques-uns des dictionnaires les plus consultés de l'époque. Aussi la dictée interroge-t-elle à sa façon le fait que, sous le Second Empire, l'orthographe du français était en mutation, en évolution, au même titre d'ailleurs que les doctrines qui sous-tendaient l'orientation de ce changement. D'où la question centrale, posée par Les Arrhes de la douairière : qui, en 1868, pouvait prétendre détenir la «véritable orthographe française»?
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Le récit à énigme est l’une des formes de prédilection du roman balzacien : une forme encore émergente quand celui-ci s’en empare pour la développer et explorer, sciemment, ses possibles ; par « récit herméneutique », ce livre en désigne l’expression la plus élaborée. Chantal Massol aborde le phénomène sous l’angle d’une poétique historique : il s’agit autant de rendre compte de la récurrence d’un type de récit dans La Comédie humaine que de comprendre, en le considérant au moment où il prend véritablement son essor, les raisons de son succès dans le récit de l’ère post-révolutionnaire. A la description de la configuration narrative succède l’examen du contexte (historique, épistémologique) présidant à son déploiement. En dégageant les stratégies et les différentes fonctions propres à ce type de récit, Une poétique de l’énigme montre comment Balzac met en place une forme-sens, chargée de poser, par le biais de multiples énigmes casuelles, la question de l’origine dans un monde bouleversé qui s’interroge sur ses propres fondements. Les analyses proposées révèlent ainsi ce qui fait de l’énigme narrative – malgré ses apparences d’emprise sur l’inexpliqué – un dispositif ouvert, et qui, par l’ensemble de ses traits, révèle son appartenance à l’époque moderne.
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